La nouvelle géographie amazonienne : entre la mondialisation et le régionalisme

 

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La nouvelle géographie amazonienne : entre la mondialisation et le régionalisme
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par Eduardo Gudynas

L’Amazonie est un ensemble de milieux tropicaux qui occupe plus de 7,5 millions de kilomètres carrés sur huit pays (Brésil, Bolivie, Equateur, Colombie, Pérou, Venezuela, Guyana et Surinam) et un territoire (la Guyane française). Deux grands bassins existent sur cette superficie : celui du fleuve Amazone proprement dit,
le plus grand, et celui du fleuve Tocantins, plus petit.

amazonie

Même si le paysage dominant se compose de forêts tropicales humides, la région n’est pas homogène ; on peut y distinguer plusieurs types de zones dans lesquelles s’intercalent, en plus, d’autres écosystèmes. Les niveaux élevés de biodiversité et d’endémisme, où la distribution des espèces est bien délimitée et les
écosystèmes sont fragiles, imposent de nombreuses restrictions à l’utilisation productive du territoire.


Cette région se trouve inégalement divisée entre les pays amazoniens. Le Brésil possède approximativement deux tiers de la superficie totale du bassin (ce qui correspond à 59% de son territoire national). Les autres pays se répartissent le reste. La proportion de la superficie nationale couverte par l’Amazonie est
très élevée au Surinam (76% de son territoire national), en Guyana (74%) et en Bolivie (66%).

Superficie
(milliers km2)
Population
(millions)
PIB / habitant
(dollars courants)
Position mondiale IDH Pauvreté % population
Bolivie 1 098,6 9,3 974 115 63,9
Brésil 8 514,8 183,8 3 541 69 36,3
Colombie 1 141,8 45,6 2 176 70 46,8
Equateur 283,6 13,4 2 322 83 48,3
Guyana 215,0 0,8 1 047 103 43,0
Perou 1 285,2 28,4 2 490 82 51,1
Surinam 163,3 0,5 2 484 89 70,0
Venezuela 916,4 27,4 8 252 72 37,1

(données basées sur le Human Development Report 2006 et les chiffres de la CEPAL 2005, 2006).

Stratégie de développement primaire et subordonné

Le type de développement prédominant en Amazonie consiste à extraire des ressources naturelles. Même si les technologies sont modernes dans de nombreux cas, on y répète un modèle qui remonte à l’époque coloniale : on s’approprie la plus grande partie des ressources à destination de l’étranger. En effet, les principales
activités comprennent l’exploitation minière (or, fer, bauxite, etc.), les hydrocarbures (pétrole, gaz), le bois, l’agriculture et l’élevage, des secteurs dans lesquels les principaux projets sont dédiés à l’exportation. On ne perçoit aucune limite à cette exploitation, puisque la vision d’une région « vide » et retardée devant être
« colonisée » et accueillir, par conséquent, des colons et des pionniers persiste.

Ces activités causent de sérieux impacts environnementaux comme, par exemple, la pollution des eaux par le mercure ou par des hydrocarbures, la déforestation et des incendies, la réduction des zones sylvestres, la disparition d’espèces, etc. La déforestation reste un grave problème, pas seulement au Brésil, mais aussi dans les autres nations. Les demandes de protection de l’environnement et de réduction des impacts sont nombreuses, mais les actions mises en œuvre sont à la traîne face aux problèmes actuels.

Les pays amazoniens continuent à se spécialiser dans l’exportation de ressources naturelles (biens primaires ou commodities), dont une partie significative provient de l’Amazonie. Dans presque toutes ces nations, les produits primaires représentent la moitié du total des exportations, avec des situations extrêmes en Bolivie, en Equateur, au Pérou et au Venezuela, où ils dépassent 80% des ventestotales. C’est le signe d’économies faibles, puisque le total des  ventes à l’étranger ne se compose que de quelques produits et qu’elles ont en outre un fort impact sur les économies nationales. Ceci explique les pressions énormes pour s’emparer de ces ressources. Paradoxalement, les cultures de coca et de pavot pour le trafic de drogue répondent aussi à une demande exportatrice, même si elle est illégale. Même les nouveaux secteurs, comme les agro combustibles [1], renforcent ce modèle de développement.

Principaux indices des exportations des pays amazoniens

Produits primaires % total des exportations Produits manufacturés % total des exportations Premier produit exporté % du premier produit exporté par rapport au total des exportations
Bolivie 89,1 10,9 Gaz naturel 35,2
Brésil 47,3 52,7 Fer/ soja 10,7
Colombie 65,3 34,7 Pétrole 19,0
Equateur 91,0 9,0 Pétrole 53,4
Perou 85,3 14,7 Or 17,1
Venezuela 90,6 9,4 Pétrole 64,6

(indices basés sur les données de la CEPAL, Annuaire statistique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 2006).

Ce style de développement est subordonné, dans le sens où ce sont les flux de capitaux étrangers et la demande internationale qui le déterminent en grande partie. Les fluctuations des cotations des commodities provoquent augmentations ou diminutions dans différents secteurs productifs, où les capacités de régulation ou d’amortissement des gouvernements nationaux sont très limitées.

Ce modèle de développement n’a pas réussi à résoudre les problèmes les plus urgents de qualité de vie, de réduction de la pauvreté et d’éradication de la violence. C’est pourquoi de nombreux conflits avec des communautés locales sont provoqués ou reproduits. Celles-ci se perçoivent comme étant exclues des bénéfices potentiels des différents projets mais doivent en assumer les impacts sociaux et environnementaux. A côté de cela, on constate la persistance de haut taux de pauvreté, de chômage, de travail dans le secteur informel, de difficultés d’accès à l’éducation, à la santé et au logement, etc. et peu de respect des droits humains, ainsi que de hauts taux de violence.

De plus, ces processus s’inscrivent dans un contexte de faiblesse des cadres et des acteurs politiques. Une forme de « démocratie par délégation » agrémentée de certains symptômes d’autoritarisme et de populisme persiste, limitant ainsi l’émergence de revendications politiques provenant des territoires amazoniens ; dans
de nombreux cas, on exclue la participation citoyenne et on affaiblit ainsi les mécanismes démocratiques qui inciteraient une rénovation politique.

La fragmentation dans la gestion territoriale

Actuellement, l’Amazonie est fragmentée. En effet, certaines zones amazoniennes ont une relation directe avec la mondialisation, en général comme pourvoyeuses de ressources naturelles, tandis que d’autres grandes zones restent en marge, leurs principales relations étant locales ou régionales. Ce style de développement imposé à l’Amazonie se base sur une appropriation des ressources naturelles vouées à être utilisées en dehors de la région et particulièrement à être exportées. En découle une affectation inégale du territoire.

Ce style de développement est un des principaux facteurs de la fragmentation de la région. En effet, il y a des endroits qui ont une relation directe avec la mondialisation : les gisements de pétrole dans l’est de l’Équateur, par exemple, ou les travaux de construction d’infrastructure qui pourvoient en énergie des
centres industriels ou urbains (comme c’est le cas de plusieurs barrages). De même, beaucoup de ces initiatives dépendent d’investissements étrangers, en général de transnationales, et leurs bénéfices économiques les plus substantiels reviennent à ces entreprises. Les communautés locales, dans la majorité des cas,
n’obtiennent pas de bénéfices importants. Les bénéfices pour les Etats sont eux aussi limités.

La fragmentation se renforce parce que les États nations ne contrôlent de manière adéquate que certaines zones de leurs territoires amazoniens ; la plus grande partie de celles-ci étant des lieux où se développent des projets liés à la mondialisation  (exploitation minière, pétrole, etc.) ou revêtant une importance en
matière de sécurité nationale (par rapport au trafic de drogue ou à une guérilla). Dans le reste du territoire, la présence de l’État est faible ainsi que le respect de droits et de garanties citoyens. De cette manière, l’Amazonie devient une vaste région périphérique où s’intercalent quelques « îles » qui sont des chaînons primaires dans des chaînes productives mondiales.

La demande exportatrice nécessite des voies de transport et de sortie des produits amazoniens. Cette pression est très forte dans le cas du pétrole et du gaz naturel et a conduit à de grands travaux comme l’« oléoduc de pétrole lourd » en Equateur ou le gazoduc allant de Camisea [région de Cuzco, au Pérou, ndlr] à la
côte péruvienne. Le même phénomène se reproduit avec la nouvelle agriculture du soja et l’élevage bovin au Brésil qui exigent des routes, des ponts et des voies d’eau pour transporter les produits jusqu’aux ports d’embarquement.

Ceci renforce la fragmentation territoriale puisque la nouvelle génération de plans d’infrastructure amazonienne n’a pas été dessinée pour satisfaire en priorité les
besoins et demandes des populations locales mais répond aux exigences des entreprises de disposer de points de sortie pour les exportations.

L’exemple le plus notable est l’Initiative pour l’Intégration de l’Infrastructure Régionale Sud-Américaine (IIRSA), dont font partie tous les pays amazoniens. Le
programme est né d’une initiative du gouvernement brésilien ; son objectif est de construire de nouvelles infrastructures comme des ponts, des routes et des voies d’eau, d’améliorer ce qui existe déjà, d’harmoniser la gestion de ces plans entre les pays, de promouvoir des projets conjoints, etc. Cette initiative a la particularité qu’une bonne partie de son financement provient des gouvernements eux-mêmes (comme la Corporation andine de financement ou la Banque nationale de
développement économique et social du Brésil, BNDES). L’initiative représente un effort pour construire des voies de transport pour faciliter les exportations, en particulier de céréales (soja), de viande bovine, de quelques produits partiellement traités (fer, aluminium) et d’hydrocarbures de différentes régions amazoniennes. En effet, plusieurs des principaux travaux de l’IIRSA concernent l’Amazonie ; les connexions routières entre le Brésil, le Pérou et la
Bolivie sont parmi les plus connues et polémiques.

Les pays de la région défendent l’IIRSA comme une initiative leur permettant d’affirmer leur souveraineté, mais, dans sa conception actuelle, son effet est plutôt d’accentuer la dépendance des demandes extérieures sur les exportations. Le p oblème est plus aigu au Brésil puisque ses projets d’infrastructure entraîneront de très graves impacts environnementaux et sociaux (destruction de zones naturelles, déplacement de communautés locales, impacts négatifs sur des groupes indigènes, etc.), et n’offrent pas d’alternative au modèle d’extraction pour l’exportation de produits primaires.

L’Amazonie dans le cadre mondial

La pression exportatrice sur l’Amazonie est très importante. C’est pourquoi il est essentiel d’analyser ce qu’il en est au niveau des accords commerciaux. Tous les pays amazoniens sont membres de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), espace depuis lequel on essaie depuis plusieurs années d’élargir la portée de l’accord à des questions « non commerciales » comme le flux de capital, les brevets sur des ressources génétiques ou les biens et services « environnementaux ». Dans tous ces domaines, les implications des décisions de l’OMC sur les exportations en provenance d’Amazonie sont très importantes, puisqu’elles n’approfondiraient pas seulement le modèle fondé sur l’extraction actuel mais elles pourraient inclure en plus la faune, la flore et même les processus écologiques, comme de nouvelles « marchandises ». Dans ce cas, comme dans d’autres dont on parlera plus bas, les politiques en matière d’environnement se réduisent au strict minimum en restant subordonnées aux accords commerciaux. Toutefois, l’OMC passe par une crise importante de légitimité ; le round actuel de négociations commerciales – celui de Doha –se trouve dans l’impasse.

Parallèlement, tous les pays amazoniens sont membres de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED). Dans cet espace a été discutée la promotion commerciale Sud-Sud mais avec très peu de résultats pratiques pour l’instant. Ils font aussi partie du « Groupe des 77 » (G77), qui
comprend actuellement plus de 130 pays en développement (plus la Chine comme associée) et où cette même diversité a empêché d’aller au-delà de
déclarations génériques.

Les pays amazoniens ont simultanément souscrit ou ratifié les accords multilatéraux les plus importants en matière environnementale, comme ceux sur le changement climatique, la conservation de la diversité biologique, le commerce international sur la faune et la flore, ou la protection des zones humides. Plusieurs
mesures importantes ont été prises dans ce domaine dans le cadre de ces accords, mais ces efforts n’ont pas encore réussi à s’imposer sur les accords commerciaux, qui restent les forces structurelles dominantes.

L’Amazonie dans l’intégration régionale

Les pays amazoniens sont signataires de plusieurs accords et participent à plusieurs négociations régionales en Amérique du Sud. Il convient de mentionner, en premier lieu, qu’ils sont tous membres du Traité de Coopération Amazonien (TCA), un accord international spécifique pour la région. Le traité a été signé en 1978
avec l’objectif de coordonner des efforts pour protéger le bassin et en promouvoir le développement. L’accord a plusieurs particularités. En premier lieu, il lie des pays pour coordonner des actions sur  une région définie écologiquement. En second lieu, il incorpore la Guyana et le Surinam, deux nations habituellement plus associées aux projets caribéens et qui, dans le cadre de ce traité, renforcent leurs liens avec l’Amérique du Sud. En troisième lieu, même si l’accord a été signé
bien avant l’éclosion de la thématique environnementale à grande échelle, il exprime un engagement fort avec la conservation de la richesse écologique amazonienne.

On mise, dans le traité, sur l’exploitation « rationnelle » des fleuves et de la faune, la promotion de la coopération scientifique, l’intégration physique, la préservation des richesses écologiques et d’autres mesures du même style. Mais on y indique que cette exploitation relève exclusivement de la souveraineté
des États, en ajoutant que « tant le développement socio-économique que la préservation de l’environnement sont des responsabilités inhérentes à la souveraineté de chaque État  ».

Passant outre les hauts et bas du traité, un secrétariat permanent a été créé en 1995 et en 1998 on a reformulé l’accord pour créer l’Organisation du Traité de Coopération Amazonienne (OTCA). Cette dernière dispose d’une personnalité juridique internationale ; elle a installé son siège à Brasilia en 2003 et a défini un programme de travail ambitieux sur divers aspects environnementaux et de développement. L’OTCA a toujours revendiqué la souveraineté sur l’Amazonie et a signalé qu’elle se focalisera sur des thèmes épineux comme la protection du patrimoine génétique ou la conservation de ressources.

Des protocoles d’accords ont été signés avec les pays du bassin du Río de la Plata [Argentine et Uruguay, ndlr], établissant ainsi un pont avec le Marché commun du Cône Sud (Mercosur) et avec ceux de la Communauté Andine des Nations (CAN), mais la manière dont cette relation s’approfondira n’est pas claire. Des initiatives de même nature ont été entamées avec l’IIRSA, qui vise à construire des ponts et des routes pour pouvoir extraire plus rapidement les ressources amazoniennes, tandis que l’OTCA, elle, semble plus intéressée à une gestion intégrée des ressources hydriques.


Par rapport aux grands blocs commerciaux, l’Am zonie apparaît divisée entre le Mercosur, la CAN et la Communauté des Caraïbes (Caricom). Tant la CAN que le Mercosur ont fait des progrès en matière d’intégration mais de sérieuses tensions existent au sein des deux blocs. Dans l’association andine, on n’est pas arrivé à approuver des tarifs douaniers extérieurs communs, les positions commerciales sont divergentes et le Venezuela a abandonné le groupe. Dans le même temps, le Mercosur s’est mis d’accord sur des tarifs douaniers extérieurs communs mais la liste d’exceptions est longue, faisant du bloc une union douanière imparfaite. La CAN a fait des progrès importants pour améliorer la libre circulation des personnes et met en œuvre des initiatives régionales de lutte contre la
pauvreté et dans le domaine de la biodiversité. Le Mercosur a connu
beaucoup de succès dans le maintien du flux commercial intra-bloc, il a
davantage avancé dans les connexions physiques et dans différentes
initiatives politiques, mais des conflits commerciaux intermittents
l’empêchent d’aller vers un « marché commun » effectif. Actuellement,
le Venezuela est en cours d’adhésion comme membre à part entière. Il
existe aussi une certaine superposition entre les deux unions, étant
donné les accords de complémentarité économique entre plusieurs pays et
entre les deux blocs. Le Surinam et la Guyana « ont les yeux tournés »
d’abord vers les Caraïbes plutôt que vers l’Amazonie. Comme membres du
Caricom, ils ont établi une relation privilégiée avec d’autres États
des Caraïbes, qui passe avant celle avec leurs voisins continentaux.

Parallèlement, tous les pays de
l’Amazonie ont participé aux négociations sud-américaines, qui ont
débuté en 2000, à Brasilia, et qui ont donné naissance à Cuzco en 2004
à la Communauté Sud-Américaine des Nations (CSN), renommée récemment
Union Sud-Américaine des Nations (UNASUR). Pour l’instant, ce processus
s’est focalisé plus particulièrement sur les questions d’intégration
physique, en soutenant l’IIRSA et en promouvant de nouveaux plans dans
le secteur énergétique.

Certains pays amazoniens négocient et
ont signé des accords commerciaux déterminants en matière de
développement. D’un côté, le Pérou et la Colombie ont accepté de
souscrire à un traité de libre-échange (TLC, Tratado de Libre Comercio,
sigles en espagnols) avec les Etats-Unis. Ce type d’accord répond à une
stratégie de Washington d’établir des négociations bilatérales ou avec
des groupes de pays au vu des difficultés de l’OMC. La Bolivie et
l’Équateur ont pris leurs distances de ce processus de négociation. Ces
traités de libre-échange renforcent le commerce asymétrique
extra-régional et affaiblissent les possibilités d’une plus grande
intégration au sein du continent.

Autre position, le Venezuela a lancé
l’initiative de l’Alternative Bolivarienne des Amériques (ALBA) qui est
actuellement présentée une alternative pour l’intégration continentale.
La Bolivie a rejoint l’initiative, avec Cuba, en apportant l’idée des
Traités de Commerce des Peuples (TCP, Tratados de Comercio de los
Pueblos) comme alternative aux TLC promus par Washington. Plus
récemment, l’Équateur s’est rapproché de cette union en tant
qu’observateur. L’idée de ces accords est d’aller vers des conditions
plus équitables dans le commerce, de promouvoir des actions communes et
d’accepter des formes de paiement en biens et services.

Espaces continentaux de négociation des pays amazoniens
N : pays en négociation – M : membre à part entière – A : membre associé – O : observateur

Mercosur CAN CARICOM UNASUR OTCA IIRSA ALBA
Brésil M M M M
Bolivie A M M M M M
Colombie M M M M
Equateur M M M M O
Pérou A M M M M
Venezuela En cours d’adhésion M M M M
Guyane M M M M
Surinam M M M M

Les nouvelles « régionalités »

Le nouveau contexte international (…)
est en train de reconfigurer les régions sud-américaines, ce qui
affecte les possibilités d’un nouveau développement en Amazonie. La
région semble marquée par des tensions entre des processus
internationaux de différents types qui vont dans des directions
différentes et qui, en plus, accordent des attentions très distinctes
aux aspects spécifiques de l’Amazonie.

D’un côté, il y a des institutions
comme l’OMC qui agissent en établissant certaines règles de commerce,
en tolérant les systèmes de subsides pervers et en promouvant la
commercialisation de la biodiversité. Cette tendance s’accentue avec
les TLC que proposent les Etats-Unis, ainsi qu’avec les accords qui
sont en discussion avec l’Union européenne. Ces traités consolident des
relations de commerce asymétrique, où le Sud reste dans son rôle
d’exportateur de ressources naturelles, mais de qui il est exigé le
démantèlement des peu de protections qu’il lui reste sur ses marchés
domestiques et des mesures de promotion industrielle. Toutefois, tant
Washington que Bruxelles gardent, quant à elles, leurs politiques
protectionnistes, plus particulièrement dans le secteur agricole. La
disposition de la Colombie et du Pérou à adhérer à de tels accords
affaiblit encore plus la CAN et aiguise par conséquent la compétition
entre ces nations pour avoir accès aux marchés d’exportation, ce qui
complique l’adoption de mesures communes de protection de
l’environnement.

De l’autre côté, il y a les tentatives
de mise en relation entre pays promues par le Brésil et par le
Mercosur. Cette voie octroie plus d’importance aux accords politiques,
mais n’a pas encore connu de grands progrès vers des stratégies
productives communes. Cette situation est due essentiellement à la
position du Brésil qui rejette des normes supranationales qui sont
obligatoires pour tous les membres du bloc. Au contraire, le Brésil
insiste pour préserver son autonomie, ce qui fait du Mercosur une union
inter-gouvernementale. C’est un obstacle pour des articulations
productives substantielles ou des politiques communes.

Cette faiblesse explique, en partie,
l’expansion du Mercosur avec un nombre élevé de membres associés, ceux
qui se lient au moyen d’accords de libre-échange. Mais cela a débouché
sur la « mercosurisation » de l’Amazonie, puisque un peu moins de 80%
de sa superficie se trouvent actuellement sur les territoires des
associés de ce bloc. Mais le Mercosur n’est pas préparé pour aborder la
problématique environnementale de la forêt tropicale. Il dispose à
peine d’un très général ‘Accord-cadre environnemental’ qui n’énumère
que quelques principes de base. Aucun ‘protocole environnemental’ n’a
encore été adopté et l’agenda thématique en cette matière s’appuie sur
des questions propres aux nations du Cône Sud.

En empruntant des chemins différents,
tant la CAN que le Mercosur se trouvent dans une impasse, avec
différents conflits internes et sont devenus essentiellement des forums
politiques, sans aborder de manière adéquate les questions
environnementales ni le développement durable. A l’échelle
sud-américaine, le même problème se reproduit, alors que l’UNASUR fait
ses premiers pas et que les avancées les plus importantes s’observent
en matière d’interconnexion physique et énergétique. Mais cette optique
répond avant tout aux besoins exportateurs des économies nationales,
ceux du Brésil plus particulièrement, et trouvent leur expression dans
des initiatives comme l’IIRSA. Elles créent donc des forces qui
agissent pour préserver ou reproduire la désarticulation amazonienne et
la mise sur les marchés internationaux de plusieurs ressources.

La proposition de l’ALBA (et des TCP)
exprime une tentative d’un autre type d’intégration régionale mais
rencontre pour l’instant des difficultés à passer de quelques accords
spécifiques à un flux commercial plus large et à établir des politiques
coordonnées. En tous cas, en matière environnementale, cette initiative
est très faible.

Les problématiques environnementales
internationales, par contre, apparaissent timidement dans les
propositions de plusieurs nations industrialisées qui considèrent
l’Amazonie comme un « patrimoine de l’humanité ». Cette optique laisse
entendre implicitement ou explicitement que les nations amazoniennes ne
sont pas capables de protéger ces écosystèmes, et que par conséquent
les aides économiques, pressions, régulations, voire des impositions
étrangères sont nécessaires. Souvent, cette position donne lieu à une
réponse irritée des pays amazoniens qui invoquent la défense de la
souveraineté nationale sur la région ; dans d’autres cas, ils profitent
de ces attaques pour obtenir du financement et de l’assistance pour
divers programmes sociaux et environnementaux.

Au-delà d’une évaluation superficielle
de cette problématique, il est clair que la supposée souveraineté
nationale sur l’Amazonie est actuellement limitée par les conditions
économiques internationales actuelles et par la propre décision de ces
pays d’accentuer leurs relations avec l’économie mondiale. De la même
manière, il faut aussi dire que les références à la souveraineté
nationale sur l’Amazonie ne peuvent servir d’excuse pour continuer à
détruire la forêt.

Dans ce contexte de forces opposées,
l’OTCA apparaît comme la seule initiative véritablement amazonienne, et
orientée plus spécifiquement sur les thèmes environnementaux et par
conséquent avec d’énormes possibilités pour le développement durable.

Ce bref résumé montre que plusieurs
processus sont à l’œuvre et qu’ils mettent en tension une possible
régionalisation amazonienne et qu’ils sont présents dans un large
spectre qui vont des TLC conventionnels avec les Etats-Unis aux
alternatives bolivariennes promues par le Venezuela, sans oublier le
rôle clé du Brésil, en lui-même et à partir du Mercosur. Ces facteurs
rendent difficiles une authentique intégration régionale, tant par les
différentes caractéristiques et propositions que par la diversité des
actions en cours.

La voie vers le développement durable

A l’heure actuelle, l’Amazonie est
fragmentée à différents niveaux : elle est divisée entre plusieurs
nations et au sein de celles-ci, les zones amazoniennes sont
désarticulées ; parallèlement, les processus d’intégration régionale et
la relation avec le reste du monde s’expriment dans d’autres
subdivisions. On invoque l’image de l’unité amazonienne mais cette
cohésion n’existe pas. En réalité, les coordinations sont naissantes
alors que les pays en question se concurrencent entre eux, accentuant
ainsi la division.

Pour aller vers un projet de
développement durable pour l’Amazonie, un premier pas serait
d’affronter cette fragmentation et de tisser une nouvelle relation.
Cette nouvelle régionalisation ne peut répéter les mêmes stratégies de
développement actuel, hautement consommatrices en matière et en
énergie, et génératrices de déchets et d’impacts. Cette voie accentuera
l’extraction des ressources naturelles amazoniennes et aggravera les
problèmes actuels. Par conséquent, un second pas est de s’inscrire dans
une stratégie de développement durable tant au niveau national que
régional.

Ces stratégies vers la durabilité
doivent être mises en oeuvre par des ensembles de pays, puisque elles
ne sont pas viables pour un pays isolé. Par conséquent, un nouveau type
d’intégration régionale est indispensable pour promouvoir le
développement durable amazonien. Ces deux aspects sont inséparables.

On peut présenter brièvement plusieurs
éléments qui devraient caractériser cette nouvelle stratégie de
développement durable à l’échelle régionale dans l’Amazonie. En premier
lieu, il est nécessaire de freiner les impacts négatifs de la
mondialisation actuelle qui est une des principales forces dans
l’extraction des ressources amazoniennes. Il est nécessaire d’aller
vers une « déconnexion » de ces conditions extérieures pour pouvoir
acquérir de l’autonomie pour suivre d’autres voies productives. Cette
« déconnexion » doit être sélective, précise et faite avec soin,
puisque certaines relations doivent être maintenues alors qu’il sera
nécessaire de se passer de bien d’autres.

Il ne s’agit pas ici d’une question de
seconde importance, puisque différentes propositions de conservation
affirment qu’il est impossible d’échapper aux marchés internationaux.
Dans cette optique, des organisations comme Conservation International
tombent dans un fatalisme où seules les zones protégées pourront être
sauvées et qu’elles devront être financées par la vente de « services
environnementaux », spécialement comme puits de carbone, sur les
marchés internationaux [2].
Ce type de position n’offre aucune véritable option de développement au
niveau social et reproduit une contradiction entre zones intouchables
destinées à la préservation et zones à usage productif intensif.

A l’opposé de cette position, le
développement durable cherche à adapter et à équilibrer la protection
de la Nature avec l’exploitation faite avec soin des ressources qu’elle
abrite. Par conséquent, un second aspect de base d’un nouveau
régionalisme amazonien exige de rediriger les projets de production, en
premier lieu, vers les besoins des populations de l’Amazonie même. Au
lieu d’extraire les ressources pour les exporter à l’extérieur de la
région, on devrait profiter de ce dont on a besoin dans la région pour
répondre aux demandes en matière d’alimentation, en matière de logement
ou d’énergie. Cela nécessite l’établissement de complémentarités
productives entre les pays amazoniens, de manière à pouvoir partager
les ressources, adaptées aux capacités des écosystèmes. Chaque zone
amazonienne offre différentes opportunités en matière de production
qu’il est nécessaire de rendre complémentaires. Il est clair que dans
l’Amazonie, on ne peut créer tous les produits et services nécessaires.
Par conséquent, cette complémentarité productive doit aussi inclure les
zones non amazoniennes de ces pays.

En troisième lieu, il est nécessaire de
renverser le processus de déterritorialisation, où il existe de grandes
zones sans ou avec peu de présence de l’État et d’où est absent
l’exercice de la citoyenneté, pour reprendre le contrôle de tout
l’espace territorial amazonien. Cette récupération du contrôle du
territoire doit aller de pair avec la régulation sociale tant du marché
que de l’État. Pour ce faire, il est nécessaire de redéfinir des
programmes actuels d’interconnexion, comme l’IIRSA, pour les réorienter
vers les besoins régionaux, avant de servir des réseaux de
commercialisation mondiale. En outre, l’intégration pour le
développement durable implique que les relations entre pays ne se
limitent pas au libre-échange. En réalité, il faut construire quelque
chose de plus complexe et d’essentiellement politique qui tende vers
des stratégies de développement communes et complémentaires. Sur ces
thèmes et d’autres, il est indispensable de construire des « politiques
régionales communes », nécessaires pour se positionner autrement au
niveau international et développer une complémentarité productive. Il
est particulièrement urgent d’établir une politique amazonienne commune
en ce qui concerne les ressources énergétiques, forestières et la
protection de l’environnement. A ce niveau, l’OTCA offre plusieurs
possibilités pour enclencher cette discussion et l’adapter aux espaces
de la CAN et du Mercosur. En matière de développement durable, il est
nécessaire de mettre l’accent sur l’urgence d’un accord régional
environnemental dans la région amazonienne et de fortifier l’OTCA. Cet
accord doit établir un ensemble de conditions environnementales
élémentaires dans toute la région et un programme de conservation des
zones sylvestres et de gestion des ressources naturelles qui prenne en
compte la grande diversité territoriale amazonienne.

Il est aussi important de souligner
qu’il est indispensable d’intégrer une planification territoriale
régionale, puisque l’Amazonie est très hétérogène. Il faut par
conséquent évaluer en détail où et comment localiser les différentes
initiatives pour minimiser les impacts environnementaux.

Sur ce terrain, il y a de nombreux
défis à affronter, spécialement de par la complexe problématique
politique dans la région, mais il y a aussi des possibilités pour
avancer, en profitant de la conscience croissante des citoyens de
l’Amazonie. Le défi est de profiter de ces possibilités.

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Comments (1)

  1. * dit :

    :sigh: je nai pa trouvé ce kil me falai

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